Quelle est l'influence du comportement d'un conseiller intéressé sur la légalité d'une délibération ?
Article
Les relations d’intéressement entre la commune et l’un de ses élus présentent deux types de risques : l’illégalité de la délibération constituant l’objet de l’intéressement et le délit de prise illégale d’intérêts.
A ces notions s'est ajoutée celle de conflit d'intérêts définie par la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.
La notion de conseiller intéressé
En application de l’article L.2131-11 « sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part des membres du conseil intéressés à l’affaire qui en fait l’objet, soit en son nom personnel, soit comme mandataire ».
Cette disposition est applicable à condition, d’une part, que le conseiller municipal ait un intérêt personnel, distinct de celui de la généralité des habitants de la commune, et d’autre part, que sa participation ait une influence effective sur le résultat du vote.
Il convient alors que le conseiller municipal reconnu comme intéressé au regard de ces deux conditions ne prenne pas part au débat et au vote, et quitte la salle sans, bien entendu, donner procuration à un autre élu.
L’intérêt personnel
Le juge examine en premier lieu l’intérêt personnel à l'affaire que le conseiller peut avoir. Cet intérêt doit être distinct de celui de la généralité des habitants de la commune (CE, 16 décembre 1994, n° 145370).
Le bénéficiaire de la délibération peut être le conseiller lui-même. Ainsi, une conseillère ayant pris part au vote de la délibération lui octroyant un poste d’agent de service, quand bien même ce vote avait fait l’unanimité, la délibération est alors entachée d’illégalité (CE, 22 février 1995, n° 150713). Le bénéficiaire peut aussi être une autre personne présentant un lien de parenté avec le conseiller (CE, 23 février 1990, n° 78130).
Par contre, l’intérêt de l’élu n’est parfois pas suffisamment marqué pour le considérer comme intéressé. C’est le cas lorsqu’une chasse communale a été louée à une association de chasseurs dont un des conseillers municipaux avait été dirigeant (CE, 25 septembre 1992, n° 92676). De même, le fait qu’un organisme tel qu’une SEM soit rattaché à la commune ne suffit pas à considérer que les conseillers municipaux qui siègent à son conseil d’administration sont intéressés (CE, 19 mai 2000, n° 208542).
Selon une réponse ministérielle commentant un arrêt du 16 septembre 2003 de la cour administrative d’appel de Marseille (n° 99MA01085), « si une association , bénéficiaire d'une subvention communale, présente un intérêt communal, et que ses membres ne peuvent en retirer aucun bénéfice personnel, la circonstance que le maire de la commune en soit le président et que plusieurs conseillers municipaux fassent partie de son conseil d'administration n'est pas de nature à les faire regarder comme étant intéressés » (Rép. Min. n° 53505, JO AN du 22 février 200). Il convient toutefois d'ajouter que l'objet de l'association était l'organisation de la fête communale traditionnelle et que par conséquent il pouvait se confondre avec l'intérêt du village.
L’influence sur le résultat du vote
La participation du conseiller doit avoir une influence sur le résultat du vote (CE, 12 février 1986, n° 45156). Néanmoins, ce critère tend à s’élargir à la simple présence du conseiller à l’une des phases du processus de décision.
La participation aux travaux préalables
La participation aux commissions de travail, chargées d'étudier le projet auquel est intéressé le conseiller, constitue un indice substantiel, notamment lorsqu'elle contribue à l'affirmation de l'intérêt en cause (CE, 17 février 1993, n° 115600).
La rédaction et la présentation du rapport préalable à la délibération
Quand le conseiller a participé à l'élaboration du projet qui l'intéresse à un titre ou à un autre et, de plus, se trouve assurer la fonction de rapporteur de l'affaire devant le conseil municipal, son influence sur le résultat du vote est présumée.
La qualité du rapporteur revêt une importance certaine pour le juge administratif : le soupçon d'influence est renforcé quand la présentation du rapport est faite par le conseiller intéressé (CE, 6 mai 1994, n° 115612).
La participation au vote et à la délibération
La participation au vote peut être appréciée au vu des résultats de ce vote. Ainsi, lorsque la décision est prise à une faible majorité, le juge considère que la participation du conseiller intéressé est « de nature à exercer une influence sur son résultat » (CE n° 78130 précité).
L'unanimité lave parfois le conseiller municipal incriminé de tout soupçon (CE, 26 octobre 1994, n° 121717).
Mais le simple constat de l'unanimité n'est pas nécessairement un élément déterminant pour affirmer que l'influence sur la délibération n'a pas été positive (CE, 9 juillet 2003, n° 248344). Bien que le conseiller dit intéressé ne prenne pas part au vote, sa simple présence à la séance est susceptible d'avoir influencé le vote.
Le délit de prise illégale d’intérêt
Le code pénal par son article 432-12 définit la prise illégale d’intérêt comme le fait par un élu de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement. Ce délit est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 500 000 euros d'amende dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction.
La prise d’intérêts est interprétée de manière très large par le juge pénal. L’intérêt peut en effet être matériel, patrimonial, familial, moral, direct ou indirect. Le délit est constitué alors même qu’il n’y a aucune recherche d’un gain ou de tout autre avantage personnel (Cass Crim., 21 juin 2000, n° 99-86871). Il suffit qu'un élu puisse simplement être soupçonné d'utiliser ses fonctions pour obtenir des avantages directs et/ou indirects à son profit, au profit de sa société, de sa famille, de ses amis ou de ses associés pour que le délit de prise illégale d'intérêt soit présumé.
Quant à la surveillance ou l’administration de l’opération dans laquelle l’élu prend un intérêt, elle est invariablement établie pour le maire, alors même que, dans la matière incriminée, il aurait donné délégation à un adjoint (Cass. Crim., 9 février 2005, n° 03-85697). S’agissant des adjoints délégués, le juge considère qu’ils ont la surveillance de l’opération incriminée lorsque celle-ci entre dans le champ de leur délégation (Cass. Crim., 18 juin 1996, n° 95-82759). Le pouvoir de surveillance est également reconnu lorsqu’un conseiller municipal est simplement présent à une délibération à laquelle il est intéressé, alors même qu’il s’abstient de participer aux débats, qu’il n’a pas instruit le dossier et qu’il ne possède aucune délégation dans la matière qui fait l’objet de la délibération et qu’il sort au moment du vote (Cass. Crim, 14 novembre 2007, n° 07-80220).
L'article 432-12 prévoit toutefois certains assouplissements au profit des communes de moins de 3.500 habitants.
Cas de l’élu mandataire de la collectivité
L'article L.1524-5 (11ème alinéa) dispose que l'élu mandataire de la collectivité au sein d'une SEM peut prendre part aux votes des délibérations de l'assemblée délibérante appelée à se prononcer sur ses relations avec la SEM, sans être pour autant considéré comme « intéressé à l'affaire » au sens de l'article L.2131-11.
Néanmoins, ils ne peuvent pas participer aux commissions d’appel d’offres ou aux commissions d’attribution de délégations de service public de la collectivité territoriale ou du groupement lorsque la SEM est candidate à l’attribution d’un marché public ou d’une délégation de service public (12ème alinéa). Dans une décision rendue en 2012, le Conseil d’Etat a précisé, sur ce point, que l’élu membre du conseil d’administration ou de surveillance d’une SEM peut participer à la délibération de la collectivité territoriale attribuant un contrat à ladite SEM. En d’autres termes, l’élu n’est pas personnellement intéressé à l’affaire, puisqu’il ne fait que représenter l’actionnaire public (CE, 10 décembre 2012, n° 354044).
Cas de l’élu président d’une association
Le juge pénal fait une application particulièrement rigoureuse de l’article 432-12, s'agissant notamment des élus municipaux assurant la présidence d'associations locales en leurs qualités d'élus, quand bien même l'infraction n'a apporté aucun profit ni causé aucun préjudice pour la collectivité (Cass. Crim., 22 octobre 2008, n°08-82068, condamnant quatre élus municipaux parce qu'ils avaient participé aux délibérations attribuant des subventions aux associations communales et intercommunales qu'ils présidaient alors même qu'ils ne percevaient aucune rémunération et que les associations servaient un intérêt public). La prise illégale d'intérêts peut également être constituée quand bien même l'élu ne donnerait qu'un avis sur l'attribution de subventions sans participer à la décision finale (Cass. Crim. , 9 mars 2005, n° 04-83615 ; Cass. Crim., 9 février 2011, n° 10-82988).
Le conflit d’intérêt
L’article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique prévoit que « constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ».
Le conflit d’intérêts peut exister sans que soit établie la recherche d’avantages indus, ni même la contradiction entre les intérêts en présence. Du seul constat d’une cohabitation des intérêts, et donc d’une apparence d’influence sur la décision prise, découle l’irrégularité.
Doivent adresser au président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d'intérêts, établies, dans les deux mois qui suivent leur entrée en fonctions notamment :
- Les titulaires d'une fonction de président de maire d'une commune de plus de 20 000 habitants ou de président élu d'un EPCI à fiscalité propre dont la population excède 20 000 habitants ou dont le montant des recettes de fonctionnement figurant au dernier compte administratif est supérieur à 5 millions d'euros ainsi que les présidents des autres EPCI dont le montant des recettes de fonctionnement figurant au dernier compte administratif est supérieur à 5 millions d'euros ;
- Les adjoints aux maires des communes de plus de 100 000 habitants et les vice-présidents des EPCI à fiscalité propre de plus de 100 000 habitants lorsqu'ils sont titulaires d'une délégation de signature.
De surcroît, afin d'éviter tout risque de conflit d'intérêts au sens de la loi relative à la transparence de la vie publique, l'article 5 du décret 2014-90 du 31 janvier 2014 précise que « lorsqu'elles estiment se trouver en situation de conflit d'intérêts, qu'elles agissent en vertu de leurs pouvoirs propres ou par délégation de l'organe délibérant, les personnes mentionnées au précédent alinéa [parmi lesquelles figurent le maire et le président d'un EPCI à fiscalité propre] prennent un arrêté mentionnant la teneur des questions pour lesquelles elles estiment ne pas devoir exercer leurs compétences et désignant, dans les conditions prévues par la loi, la personne chargée de les suppléer. Par dérogation aux règles de délégation prévues aux articles L.2122-18, [...] et L.5211-9 du code général des collectivités territoriales, elles ne peuvent adresser aucune instruction à leur délégataire ».
Sur ce fondement, il appartient au maire et au président d'un EPCI à fiscalité propre de donner délégation à un adjoint ou à un vice-président qui remplira l'ensemble de ses fonctions pour les affaires en causes. Par ailleurs, ils ne devront lui adresser aucune instruction à cette occasion.
Il convient de préciser que la loi du 11 octobre 2013 ne remet pas en cause les exceptions aux situations de prise illégale d’intérêt prévues par l’article 432-12 du code pénal pour les communes moins de 3 500 habitants. Déléguer ses fonctions selon la loi du 11 octobre 2013 ne suffit donc pas pour écarter la prise illégale d'intérêts.
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