Les nouvelles possibilités de modification des prix des contrats de la commande publique
Article
La très forte hausse des prix et les difficultés d’approvisionnement pour certaines matières premières, consécutives notamment à la crise du covid-19 puis à la guerre en Ukraine, ont entraîné un renchérissement important des coûts de production, ce qui a engendré des difficultés d’exécution des contrats de la commande publique.
La multiplication des demandes d'indemnisation liées à cette situation exceptionnelle a conduit le Gouvernement à consulter le Conseil d’État, qui a rendu un avis, le 15 septembre 2022 (CE, Ass, avis n° 405540 relatif aux possibilités de modification du prix ou des tarifs des contrats de la commande publique et aux conditions d’application de la théorie de l’imprévision).
Dans cet avis, la Haute-Juridiction admet que, par dérogation au principe d’intangibilité du prix, les parties à un contrat de la commande publique peuvent, dans certaines conditions et sous certaines limites, procéder à une modification des clauses financières pour faire face à des circonstances imprévisibles et rappelle que le cocontractant a également droit à une indemnité sur le fondement de la théorie de l’imprévision.
Les modifications par avenant sur le fondement des dispositions du code de la commande publique
Le Conseil d’Etat admet qu’il est possible de procéder à une modification « sèche » des clauses financières d’un contrat de la commande publique, c’est-à-dire à une modification qui n’est pas liée à une évolution des caractéristiques ou des conditions d’exécution des prestations initialement prévues.
La modification pour circonstances imprévisibles sur le fondement de l’article R.2194-5 (et R.3135-1 pour les contrats de concession)
La nécessité d’une circonstance imprévisible
La modification sur ce fondement suppose bien entendu la survenance d’une circonstance imprévisible pour les parties dans son principe et/ou dans son ampleur au moment où le contrat a été passé. Les parties ne doivent pas par ailleurs avoir contribué, en tout ou partie, à la survenance de l’évènement ou à l’aggravation de ses conséquences.
Une condition de proportionnalité
Le Conseil d’État ne se prononce pas sur les modalités de calcul de la compensation contractuelle. Il précise cependant que « les modifications envisagées doivent être strictement limitées, tant dans leur champ d’application que dans leur durée, à ce qui est rendu nécessaire par les circonstances imprévisibles pour assurer la continuité du service public et la satisfaction des besoins de la personne publique ». La modification envisagée doit donc être nécessaire et proportionnée dans son principe, dans son montant comme dans sa durée pour faire face à la circonstance imprévisible.
La Direction des affaires juridiques de Bercy incite notamment à limiter dans le temps les nouveaux prix « en fonction de la durée prévisible de la circonstance imprévisible à l’origine de la modification envisagée » et, le cas échéant, à prévoir une clause de rendez-vous « pour permettre de négocier le principe et la durée d’une nouvelle modification des prix ou tarifs, le retour aux conditions financières initiales du contrat ou sa résiliation » (voir la fiche technique « Possibilités offertes par le droit de la commande publique de modifier les conditions financières et la durée des contrats de la commande publique pour faire face à des circonstances imprévisibles et articulation avec l’indemnité d’imprévision », §1.1.2, p. 9).
Il doit être vérifié que « l'augmentation des dépenses exposées par l'opérateur économique ou la diminution de ses recettes imputables à ces circonstances nouvelles ont dépassé les limites ayant pu raisonnablement être envisagées par les parties lors de la passation du contrat ».
Ainsi, le montant ou la valeur de cette modification à titre de compensation ne doit pas dépasser le montant des surcoûts effectivement subis par le cocontractant. Une modification du contrat qui ne serait pas strictement nécessaire pour faire face aux effets de la circonstance imprévisible remettrait en cause les conditions de la mise en concurrence initiale, et serait donc illégale.
Pour autant, la modification prévue peut aller jusqu’à l’inclusion d’une formule de révision alors que le contrat initial était prévu à prix ferme, ou à faire évoluer une clause de révision dont l’effet se serait révélé insuffisant. Elle peut également en modifier la durée.
La règle de l’augmentation maximale de 50 % par rapport à la valeur du marché initial
Le montant de la modification pour circonstances imprévisibles ne peut excéder 50 % de la valeur du contrat.
En cas de modifications successives pour circonstances imprévisibles, « chaque modification ne peut excéder 50 % du montant du contrat initial, des modifications successives ne devant pas avoir pour objet de contourner les obligations de publicité et de mise en concurrence » (point 2 de l’avis, voir également le point 10).
Il faut par ailleurs tenir compte, pour le calcul de ce montant initial, de l’application éventuelle d’une clause de révision.
La modification de faible montant sur la base de l’article R.2194-8 (et R.3135-8 pour les contrats de concession)
Les articles R.2194-8 (pour les marchés) et R.3135-8 (pour les contrats de concession) disposent que le contrat peut être modifié sans procédure de publicité ou de mise en concurrence lorsque le montant de la modification est inférieur au seuil de 10 % du montant du contrat initial pour les marchés de services et de fournitures et pour les contrats de concession ou 15 % du montant initial pour les marchés de travaux.
Comme dans le cas de la modification pour circonstances imprévisibles, cette modification peut notamment concerner le prix ou sa formule de révision ainsi que la durée du contrat.
Une modification sur ce fondement n’a par ailleurs pas à être motivée, c'est-à-dire qu’il n’est pas besoin de démontrer une circonstance imprévisible ou le caractère non substantiel de la modification.
Le Conseil d’Etat précise néanmoins « [qu’]il incombe à l’autorité contractante de s’assurer, compte tenu de ses besoins propres, de la nécessité de telles modifications et d’éviter que, malgré leur faible montant, elles aient pour effet de compenser, même partiellement, la part de l’aggravation des charges qui n’excède pas celle que les parties avaient prévu ou auraient dû raisonnablement prévoir en contractant » (point 12 de l’avis).
L'indemnisation sur le fondement de la théorie de l'imprévision
Fondement juridique
Lorsque l’augmentation du prix des matières premières ou des composants indispensables à l’exécution des prestations entraîne un bouleversement temporaire de l’économie du contrat, le titulaire du marché concerné peut solliciter une indemnité sur le fondement de la théorie ancienne de l’imprévision (CE, 30 mars 1916, n° 59928, Compagnie générale d'éclairage de Bordeaux), désormais codifiée à l’article L.6 3° du code de la commande publique, selon laquelle « lorsque survient un évènement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat, le cocontractant, qui en poursuit l’exécution, a droit à une indemnité ».
Conditions
Il faut cumulativement :
- la survenance d’un événement qui n’était pas, là encore, prévisible au moment de la conclusion du contrat ;
- cet événement imprévisible doit avoir pour conséquence de bouleverser l’économie du contrat, c’est-à-dire qu’il doit aggraver les charges pour le titulaire du contrat (la jurisprudence a retenu que le minimum des surcoûts se situe entre 5 % : CE, 30 novembre 1990, n° 53636, Sté Coignet et 10 % : CAA Marseille, 17 janvier 2008, n° 05MA00492 et a considéré à l’inverse qu’une augmentation évaluée entre 1 % ou 2 % : CE, 2 juillet 1982, n° 23653, département de la Martinique ou à 3 % : CAA Bordeaux, 3 mai 2011, n° 10BX011996 est insuffisante) y compris lorsque le marché a été conclu à prix révisable ; l’avis du Conseil d’État précise par ailleurs que s’agissant des contrats de concession, qui se distinguent des marchés publics par le transfert d’un risque substantiel d’exploitation, il convient de se référer aux clauses du contrat et à l’intention des parties pour déterminer le seuil en deçà duquel son équilibre peut être considéré comme bouleversé ;
- l’évènement doit être extérieur à la volonté des parties.
Après notre Fil d’actu publié le 26 septembre 2022, cet article revient sur cet avis et présente en premier lieu ces possibilités de modification des clauses financières liées à la situation économique exceptionnelle constatée actuellement. Il expose en second lieu les conditions et les modalités de versement d’une indemnité basée sur la théorie de l’imprévision.
Montant de l’indemnité
L'indemnité couvre le montant du déficit provoqué par l'exécution du contrat pendant la période au cours de laquelle celle-ci a été bouleversée par des circonstances imprévisibles. Une partie de ce déficit, en moyenne de 10 %, doit cependant être supportée par le cocontractant (une circulaire du Premier ministre du 30 mars 2022 précise que « ce taux est néanmoins susceptible de varier entre 5 % et 25 % en fonction des circonstances et notamment des éventuelles diligences mises en œuvre par l'entreprise pour se couvrir raisonnablement contre les risques inhérents à toute activité économique »).
Cela signifie concrètement que le cocontractant a droit à une indemnisation correspondant généralement à environ 90 % du déficit lié à la période de bouleversement économique du contrat, pouvant être ajustée à la hausse comme à la baisse selon les circonstances.
Justificatifs
Le titulaire doit produire un état précis et détaillé, accompagné de toutes les pièces comptables, justifiant sa perte de marge provoquée par les évènements extérieurs.
Formalisme
Dans son avis du 15 septembre 2022, le Conseil d’Etat estime que « cette convention d’indemnisation [...] ne peut être regardée comme une modification d’un marché ou d’un contrat de concession ».
Indépendante du contrat, cette convention peut selon la doctrine (voir notamment F. Linditch, L'imprévision, entre commande publique et transaction - Premier regard sur l'avis du Conseil d'État du 15 septembre 2022, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 40, 10 octobre 2022, 2277) et le Ministère de l’Économie (fiche technique de la DAJ publiée le 21 septembre 2022) prendre la forme d’une transaction ou d’une convention ad hoc.
Modalités de versement
Si l’indemnité est accordée, elle doit être distinguée du règlement financier du marché. C’est à dire qu’elle ne peut donner lieu ni à des acomptes ni à des paiements partiels définitifs ni à un règlement partiel ou total au stade de l’établissement du décompte général et définitif (DGD). Elle doit en effet être mandatée par le biais d’un règlement séparé inscrit dans la section de fonctionnement, ce qui exclut toute récupération de la TVA.
La circulaire de la Première ministre du 29 septembre 2022 (n° 6374/SG) rappelle que l’indemnité « doit, au moins pour partie, être versée de façon aussi proche que possible du moment où le bouleversement temporaire de l’économie du contrat en a affecté l’exécution » (voir p. 5). Elle poursuit en précisant que cela peut se traduire par le versement d’indemnités prévisionnelles « mandatées avec chaque règlement, à valoir sur l’indemnité globale d’imprévision dont le montant définitif ne pourra être déterminé qu’ultérieurement ».
Cumul possible avec la modification du contrat par avenant.
Dans son avis du 15 septembre, le Conseil d’État précise que « l’indemnité d’imprévision peut se combiner avec une modification du contrat si cette dernière n’a pas été de nature à résorber la totalité du préjudice d’imprévision subi par le titulaire ».
Il est donc possible de contracter à la fois :
- un avenant sur la base des circonstances imprévisibles ou du faible montant ;
- et une convention d’indemnisation.
Pour aller plus loin :
- Tableau récapitulatif des nouvelles possibilités de modification des prix des marchés publics ci-après
- Fiche technique « Possibilités offertes par le droit de la commande publique de modifier les conditions financières et la durée des contrats de la commande publique pour faire face à des circonstances imprévisibles et articulation avec l’indemnité d’imprévision » de la Direction des affaires juridiques du ministère de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique
- Circulaire de la Première ministre du 29 septembre 2022 (n° 6374/SG) « relative à l’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières et abrogeant la circulaire n° 6338/SG du 30 mars 2022 »
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Annexe : tableau récapitulatif des nouvelles possibilités de modification des prix des contrats de la commande publique
Types de modification |
Fondement juridique |
Conditions |
Montant |
Modalités |
Les modifications par avenant sur le fondement des dispositions du code de la commande publique (pouvant concerner notamment le prix ou sa formule de révision ainsi que la durée du contrat) | ||||
La modification pour circonstances imprévisibles. |
Articles R.2194-5 (pour les marchés) et R.3135-1 (pour les contrats de concession) du code de la commande publique. |
La survenance d’une circonstance imprévisible pour les parties dans son principe et/ou dans son ampleur au moment où le contrat a été passé. Condition de proportionnalité : le montant ou la valeur de la modification à ne doit pas dépasser le montant des surcoûts effectivement subis par le cocontractant |
Le montant de la modification pour circonstances imprévisibles ne peut excéder 50 % de la valeur du contrat (tenant compte des éventuelles révisions du prix). |
Avenant nécessitant une habilitation de l’assemblée délibérante, sauf si l’exécutif bénéficie d’une délégation en la matière pour toute la durée du mandat.
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La modification de faible montant.
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Articles R.2194-8 (pour les marchés) et R.3135-8 (pour les contrats de concession) du code de la commande publique. |
Une modification sur ce fondement n’a pas à être motivée, c'est-à-dire qu’il n’est pas besoin de démontrer une circonstance imprévisible ou le caractère non substantiel de la modification.
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Montant de la modification devant être inférieur à 10 % du montant du contrat initial (le cas échéant révisé et/ou cumulé) pour les marchés de services et de fournitures et pour les contrats de concession ou 15 % pour les marchés de travaux. |
Avenant nécessitant une habilitation de l’assemblée délibérante, sauf si l’exécutif bénéficie d’une délégation en la matière pour toute la durée du mandat.
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La modification sur le fondement de la théorie de l’imprévision | ||||
L’indemnité d’imprévision. |
Article L.6 3° du code de la commande publique. |
Survenance d’un évènement extérieur à la volonté des parties qui n’était pas prévisible au moment de la conclusion du contrat qui a pour conséquence d’en bouleverser l’économie (un surcoût d’au moins 5 % doit être constaté). |
Indemnisation correspondant à environ 90 % du déficit lié à la période de bouleversement économique du contrat, pouvant être ajustée à la hausse comme à la baisse selon les circonstances. |
Convention extérieure au marché (ce n’est pas un avenant) pouvant prendre notamment la forme d’une transaction. Autorisation de l’assemblée délibérante. |
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