L’indemnisation des préjudices commerciaux causés par des travaux de voirie
La réalisation de travaux de voirie peut être source de difficultés économiques pour les commerces adjacents.
De tels travaux peuvent en effet engendrer une baisse de fréquentation, synonyme de réduction du chiffre d’affaire ou de pertes de recettes.
Ce type de préjudice peut ouvrir droit à réparation, sous certaines conditions déterminées par la jurisprudence administrative.
Cet article précise ces conditions, ainsi que les mesures qui peuvent être prises par le maître d’ouvrage pour limiter le risque d’engagement de sa responsabilité pécuniaire.
Les conditions dans lesquelles un commerçant peut prétendre à une indemnisation des préjudices résultant de travaux de voirie
Les préjudices subis par des commerçants à l’occasion de travaux de voirie entrent dans la catégorie des dommages permanents de travaux publics.
Les dommages permanents de travaux publics – qu’on pourrait également qualifier de non-accidentels – s’analysent comme des charges qui, même en l'absence de faute et pour un motif d’intérêt général, sont imposées « délibérément » à certains membres de la collectivité. Pour rétablir l’égalité rompue à leur détriment, une compensation de ces charges leur est due, sous certaines conditions. Il s’agit donc d’une responsabilité fondée sur le principe de l’égalité de tous devant les charges publiques.
Le riverain d'une voie publique peut ainsi obtenir réparation des dommages ou préjudices qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers. Pour ce faire, il doit établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués et, d'autre part, le caractère anormal (c’est-à-dire suffisamment grave) et spécial (c’est-à-dire suffisamment personnel) de son préjudice. Cette deuxième condition est importante dans la mesure où les riverains des voies publiques sont tenus de supporter sans contrepartie les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général.
La spécialité du dommage résulte du voisinage de l’opération de travaux, qui implique nécessairement une limitation du nombre de victimes.
Le caractère anormal du dommage implique qu’il excède les troubles normaux du voisinage d’une voie publique. En matière de préjudices commerciaux, le juge se fonde sur les répercussions chiffrées des travaux, en évaluant la perte qui leur est imputable.
La charge de la preuve du préjudice incombe au commerçant qui s’estime lésé. Ce dernier doit donc apporter des preuves tangibles d’une baisse d’activité importante et directement liée à l’opération de travaux publics en cause (CE, 24 mars 1978, Institution interdépartementale des barrages réservoirs du bassin de la Seine c/Advenier ; Rec. CE 1978, p. 963). Pour ce faire, il doit fournir des documents comptables permettant de justifier d'une baisse de chiffre d'affaire(CAA Marseille, 6 février 2012, n° 09MA01018) de nature à mettre en jeu la viabilité de son entreprise(TA Strasbourg, 14 avril 2016, n° 1404183)et préciser la nature, la localisation et la durée des travaux, afin d’établir la concomitance avec le déroulement du chantier en cause(CAA Marseille, 19 septembre 2016, n° 14MA03345).
Le préjudice s'appréhende notamment au regard des difficultés particulières, voire de l’impossibilité, pour les clients d’accéder au commerce. Ainsi, des travaux n'ayant eu pour conséquence qu'un allongement relativement limité de la durée de parcours des clients n’ouvre pas droit à indemnisation(TA Paris, 23 novembre 2016, n° 1512540).
Le juge prend également en compte le type de clientèle du commerce. Des travaux de voirie peuvent en effet impacter plus fortement un commerce dont la clientèle est majoritairement composée d'une clientèle occasionnelle et non d’habitués (CAA Marseille, 29 septembre 2013, n° 11MA02339).
Ainsi, seuls les préjudices les plus importants ouvrent droit à indemnisation. Il en va par exemple ainsi d’une perte de chiffre d’affaire oscillant entre 37 et 40 % (CAA Nantes, 20 octobre 2011, n° 09NT01197) ou, a fortiori, d’une diminution de plus de 50 % du chiffre d’affaire liée aux difficultés d'accès de la clientèle durant la période de travaux (TA Strasbourg, 14 avril 2016, n° 1404183, précité).
Les mesures qui peuvent être prises par le maître d’ouvrage pour limiter le risque d’engagement de sa responsabilité pécuniaire
La collectivité maître d’ouvrage peut prendre des mesures matérielles destinées à diminuer l’impact des travaux sur le commerce local.
Ainsi, le maître d’ouvrage qui met en place un itinéraire de déviation peut par exemple baliser cet itinéraire, de manière à informer les automobilistes de l'ouverture des commerces riverains (CAA Lyon, 21 Juin 2012, n° 11LY02064).
Le maître d’ouvrage doit également veiller à ce que les travaux n’occultent pas l’enseigne des commerces riverains (CAA Marseille, 5 mai 2014, n° 12MA00967) et ne perturbent pas excessivement l’accès des piétons à ces commerces. Pour ce faire, il lui appartient, si possible, de laisser un passage d’une largeur suffisante, au regard du flux de piéton habituel, entre les palissades du chantier et la façade des commerces adjacents (CAA Marseille, 6 février 2012, n° 09MA02234).
Les périodes d'ouverture des magasins peuvent également être prises en compte lors de la programmation du chantier, afin que les travaux les plus lourds soient réalisés en dehors de ces périodes (TA Melun, 30 novembre 2015, n° 1400804).
Enfin, des espaces peuvent être affectés au stationnement des clients et à la livraison des marchandises dans le secteur des travaux.
En dépit des mesures prises, des commerçants qui s’estiment lésés par les travaux peuvent néanmoins réclamer une indemnisation au maître d’ouvrage.
Afin d’anticiper cette situation, certaines collectivités mettent en place des commissions d'indemnisation amiable, qui associent fréquemment les acteurs commerciaux du secteur affecté par l’opération de travaux.
En pareil cas, il convient de se référer aux critères d’indemnisation posés par le juge administratif. Le maître d’ouvrage doit donc vérifier la réalité et l’importance des préjudices commerciaux allégués, ainsi que leur lien avec l’opération de travaux considérée.
Il lui est en outre vivement conseillé d’indemniser les intéressés dans le cadre de conventions de transaction. La transaction, qui est définie par l’article 2044 du code civil comme « un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître… », fait obstacle « à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet » (article 2052 du même code). Elle permet doncd’éteindre un litige qui pourrait conduire à l’engagement de la responsabilité de la collectivité à l’origine du préjudice indemnisé.
Précisons enfin qu’il s’agit d’un processus de conciliation amiable dans le cadre duquel les parties doivent obligatoirement se consentir des concessions réciproques.
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