Les modalités de reprise des chantiers après le confinement et pendant la crise sanitaire
La reprise des chantiers interrompus par le confinement pose aux maîtres d’ouvrage publics des questions relatives, d’une part, à la reprise matérielle des travaux et, d’autre part, aux possibles réclamations financières des cocontractants.
Comment reprendre un chantier public en temps de crise sanitaire ?
Si la décision de reprise de chantier appartient bien au seul maître d’ouvrage, celle-ci ne peut néanmoins n’être que le fruit d’un accord avec les cocontractants :
- le maître d’ouvrage public (MO) est responsable de la sécurité de son chantier et susceptible d’engager sa responsabilité à ce titre,
- les entreprises sont responsables de la santé de leurs salariés (article L.4121-1 du code du travail),
- le coordonnateur sécurité-santé (CSPS) est responsable de la sécurité et de la santé des travailleurs sur le chantier s’agissant notamment de la réponse aux risques liés à la coactivité, responsabilité accrue suite à l'épidémie de covid-19,
- le maître d’œuvre (MOE) est responsable du bon déroulement du chantier. La réouverture d’un chantier ne pourra se faire que si les conditions sanitaires et matérielles sont réunies pour l’autoriser. Il incombe au maître d’ouvrage de s’en assurer et d’organiser pour cela un échange indispensable entre tous les intervenants afin de trouver un accord général permettant le redémarrage des travaux et l’achèvement de la construction.
Du fait des prérogatives qui sont les siennes, le maître d’ouvrage peut être amené à devoir trancher les éventuels différents entre intervenants concernant les modalités de la reprise des chantiers.Il dispose également du pouvoir de sanction à l’encontre des prestataires et entreprises qui refuseraient toute reprise.
Ce pouvoir de sanction peut néanmoins être difficilement applicable dans les circonstances actuelles.
En effet, selon l'article 6 de l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 qui porte notamment adaptation des règles d’exécution des contrats de la commande publique, il ne lui est pas possible aujourd'hui de contraindre les entreprises à reprendre leur activité sur le chantier si elles démontrent qu’elles n'ont pas «les moyens suffisants» ou que la mobilisation de ces moyens ferait peser sur elles une «charge manifestement excessive».
"Pour autant, si le refus de reprendre l’exécution du marché parait infondé au regard de ces motifs, le maître d’ouvrage a le pouvoir de modifier unilatéralement le contrat de l’entreprise concernant les nouveaux délais d’exécution des prestations ou l’application des nouvelles règles sanitaires (le pouvoir de modification unilatérale ne pouvant pas en principe porter sur les clauses financières du marché).
Dans cette hypothèse, la non-exécution devient fautive et l’entreprise peut se voir appliquer les sanctions prévues au contrat. A noter que la modification unilatérale peut néanmoins avoir comme conséquence une indemnisation du cocontractant si elle bouleverse l’économie du contrat.
Voici, d’une manière schématique, les 6 étapes que le MO devra respecter avant de prendre une décision formelle de reprise de chantier.
1-S’assurer de la disponibilité du MOE et du CSPS
Il convient au préalable de vérifier que le MOE et le coordonnateur SPS sont dans la possibilité de reprendre leur mission et de se rendre sur le chantier (attention : le marché de CSPS est conclu intuitu personae, c’est-à-dire que seul le ou les CSPS indiqués nominativement dans le contrat peuvent réaliser la mission).
En leur absence, la reprise doit être différée. La reprise de ces missions fait l’objet d’une lettre ou d’un ordre de service du MO demandant :
- au MOE ( maître d’œuvre chargé des éléments de mission DET et, le cas échéant, OPC) :
- la mise en œuvre de la concertation avec les entreprises de travaux et l'élaboration d’une proposition de reprise du chantier,
,- la modification, en fonction des résultats de la concertation, des plannings d’intervention des entreprises ainsi que la mise à jour des modalités d’organisation du chantier,
- ses propres contraintes de reprise d'activité.
- au CSPS (coordonnateur sécurité-santé ):
- la modification des documents de prévention, dont, le cas échéant, le plan général de coordination (PGC),
- la définition des règles sanitaires propres à la situation d'urgence sanitaire,
- ses propres contraintes de reprise d’activité
La demande de modification de ces documents peut être interprétée comme une demande de prestations supplémentaires qu'il convient de rémunérer et de valider par avenant pris sur le fondement des modifications rendues nécessaires par des circonstances imprévues (en faisant application soit de l’article 139 3° du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 pour les marchés dont l’exécution demeure régie par les textes antérieurs au code de la commande publique soit, pour les plus récents marchés, de l’article R. 2194-5 du code de la commande publique -voir le paragraphe «Comment traiter les réclamations» ci-dessous).
2- Définir de façon concertée les modalités de reprise du chantier
Il appartient au MO d’apprécier d’abord s’il est opportun ou non de reprendre l’activité, compte tenu des informations qui lui ont été préalablement transmises par les différents acteurs (MOE, CSPS, entreprises). Une concertation doit ensuite être organisée pour déterminer les conditions de la reprise du chantier lorsque celle-ci est envisageable.
Les organisations professionnelles conseillent l’élaboration d’un protocole de reprise multipartite pour définir les modalités de reprise sanitaires et matérielles du chantier jusqu’à la fin de la période d’urgence sanitaire (cette dernière ayant être prolongée jusqu’au 10 juillet 2020 inclus par la loi n°2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions).
La première étape de cette élaboration consiste en l’envoi par le MO d’une lettre circulaire à tous les acteurs (voir l’encadré «Que doit contenir la lettre circulaire du MO?»).
Il conviendra de préciser dans cette lettre que la prolongation des délais d’exécution du chantier fera l’objet d’un avenant (ou d'une décision unilatérale du MO s'il est fait application de l'article 19.2.2 du CCAG-Travaux) quand les conditions de reprise auront été arrêtées.
Conseil : Les questions financières devraient, à notre sens, faire l'objet d'un accord amiable différent du protocole de reprise du chantier pour ne pas bloquer, en cas de désaccord, la réouverture du chantier. A noter que les désaccords financiers ne peuvent être mis en avant par les entreprises pour refuser l'exécution des travaux qui sont contractuellement à leur charge. |
La deuxième étape consiste pour le MOE, comme le lui a confié le MO (cf. paragraphe 1 ci-dessus), à mener la concertation en interrogeant chaque entreprise sur les activités qui peuvent être reprises, au regard des contraintes sanitaires (liées à la distanciation, quant aux «gestes barrières/regroupements de personnes», et aux restrictions de déplacements) et matérielles (effectif en personnel disponible, approvisionnement etc.).
Le MOE doit tenir le MO informé de ces échanges (par l'envoi de compte-rendus).Les entreprises doivent, bien évidemment, répondre aux demandes du MOE et pouvoir justifier de leurs contraintes.Il appartient ensuite au MOE de rédiger une proposition de protocole de reprise en partenariat avec le CSPS. Différentes organisations professionnelles proposent des exemples ou des guides à cet effet (voir ci-dessous la rubrique «pour aller plus loin»).
Le conseil national de l'ordre des architectes (CNOA) insiste sur le rôle de conseil du MOE en la matière.
Que doit contenir la lettre circulaire du MO ?
1°/ Un historique de la situation du chantier caractérisant à compter du 14 mars 2020, les actions et décisions qui sont intervenues. Il s’agira :
2°/ L’affirmation de la volonté du MO de voir le chantier reprendre.
3°/ L’annonce des étapes à venir quant à la reprise effective du chantier:
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3-Adapter les règles sanitaires
En parallèle, le CSPS doit mettre à jour les documents de protection des travailleurs (notamment le PGC) et élaborer la procédure permettant le respect des règles en matière sanitaire («gestes barrière/regroupement de personnes») sur le chantier et durant les pauses.
Il est utile de rappeler que l’article R. 4532-47 du code du travail prévoit que «le plan général de coordination est complété et adapté en fonction de l'évolution du chantier et de la durée effective à consacrer aux différents types de travaux ou phases de travail» et que «ces modifications sont portées à la connaissance des entreprises».
Ce PGC modifié doit ensuite être notifié aux entreprises afin qu’elles adaptent en conséquence leur propre plan particulier de sécurité et de protection de la santé(PPSPS).
Les entreprises doivent enfin transmettre leurs documents modifiés au MOE et au CSPS et s’assurer que leurs sous-traitants en font de même.
4-Modifier les plannings d’intervention
Le MOE doit, de la même façon, mettre à jour le planning global et les plannings lot par lot ainsi que définir le zonage des interventions (pour éviter la coactivité) en partenariat avec le CSPS.
Il doit également réorganiser le plan d’installation du chantier, la gestion des livraisons, l’accès au site.
Ces documents sont transmis selon les modalités prévues aux marchés.
5-Approuver le protocole de reprise
Enfin, le protocole de reprise doit faire l'objet d'une acceptation dénuée d'ambiguïté de toutes les parties, soit par sa signature soit par un accord formulé par écrit.
6-Prendre la décision de reprise de l’exécution des prestations pour tous les acteurs (MOE, CSPS, CT, entreprises)
Le MO doit formuler sa décision, sous forme de lettre circulaire, et la transmettre à tous les acteurs.
Que doit contenir une décision de reprise ?
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Pour aller plus loin :
L'OPPBTP a publié un «Guide de préconisations de sécurité sanitaire pour la continuité des activités de la construction en période d’épidémie de coronavirus Covid-19» publié le 02 avril 2020).
Le conseil national de l'ordre des architectes (CNOA) propose un guide de préconisations ainsi qu'un outil d'aide à la décision, sous forme de check-list, permettant au MO de savoir s'il dispose des conditions favorables à l'engagement de la concertation.
Les organisations représentatives de la coordination SPS ont rédigé en partenariat avec l’OPPBTP un «Guide de préconisations précisant le processus organisationnel de la coordination SPS en période d’épidémie Covid-19 dans les opérations de BTP» (23/04/2020) .Elles ont également publié un «Guide de préconisation pour les référents Covid du maître d’ouvrage».
Comment traiter les réclamations financières ?
La reprise des travaux, l’adaptation de l’activité aux règles sanitaires, l’interruption du chantier peuvent avoir pour conséquence de rendre plus coûteuse l’exécution du marché et susceptible d’ouvrir droit à une indemnisation sur le fondement de la théorie de l’imprévision.
En tout état de cause, cette indemnisation n’est pas automatique et doit respecter les règles déterminées par le juge administratif ainsi que les règles relatives aux modifications du contrat.
En premier lieu, lorsqu’une entreprise demande une indemnisation, elle doit établir qu'elle a subi un préjudice, identifier la cause du préjudice et justifier qu'il y a bien un lien de causalité entre le préjudice subi et cette cause. Elle doit également en faire une évaluation chiffrée sérieuse et détaillée.
La cause du préjudice fondée sur la théorie de l'imprévision est un événement imprévisible et extérieur aux parties, en l'espèce la pandémie, qui rend considérablement plus coûteuse l'exécution du marché.Les entreprises doivent donc justifier en quoi la pandémie et les mesures engagées pour lutter contre le virus, provoque un surcoût d'exécution du marché proprement dit. Pour pouvoir être indemnisé, ce surcoût doit par ailleurs représenter une certaine ampleur par rapport au coût du marché (ainsi, en deçà de 5%, le juge administratif estime en principe que la charge supplémentaire n’est pas anormale).Il faut également savoir que l'indemnisation du surcoût ne peut pas être intégrale: elle ne prend pas en compte la marge bénéficiaire de l'entreprise et subit un abattement de 10%, qui doit rester à la charge de l'entreprise.
Un récent arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Paris (17 avril 2020,Société Pimentel BTP, n°18PA02345) permet de rappeler le raisonnement du juge administratif concernant l’indemnisation des préjudices des entreprises en cas d’interruption de chantier, même si ce cas d’espèce ne concerne aucunement la crise sanitaire.
Par ailleurs, l’avenant actant cette indemnisation devra respecter les règles relatives aux modifications rendues nécessaires en raison de circonstances imprévues qu’un acheteur diligent ne pouvait prévoir (articles 139 3° et 140 du décret n° 2016-360 ou article R. 2194-5 du code de la commande publique), Ainsi, l'indemnisation est plafonnée à 50% du coût du marché, sachant que la clause de révision des prix s'applique (article R. 2194-4 du code de la commande publique).
La mise en œuvre de la réouverture peut également induire des prestations supplémentaires, demandées par le MO, qu'il convient de rémunérer. Dans cette hypothèse, il ne s'agit pas d'une indemnisation plafonnée mais du paiement d'un prix.
L'abattement de 10% et la non prise en compte de la marge bénéficiaire ne s'appliquent pas. L'avenant est également fondé sur les articles 139 3° et 140 du décret n°2016-360 ou l'article R.2194-5 du code de la commande publique.
Enfin, si un avenant est conclu, que ce soit sur le fondement de l’imprévision ou pour le paiement d’une prestation supplémentaire, il sera utile d’y faire figurer une clause de renonciation à toute action, réclamation ou tout recours contentieux pour tout fait relatif à l’objet de cet avenant, antérieur à sa signature. Ainsi si les cocontractants se ravisent et sollicitent une indemnisation complémentaire, cette clause pourra leur être immédiatement opposée.
Nous vous rappelons que HGI-ATD ne répond qu'aux sollicitations de ses adhérents. Toute demande de documentation, conseil ou assistance ne respectant pas cette condition ne pourra aboutir.